Elie Arié
2005-09-19 08:37:36 UTC
<http://www.lefigaro.fr/eco-monde/20050919.FIG0241.html>
Kervasdoué : "Un système soviétique"
Directeur des hôpitaux au ministère de la Santé de 1981 à 1986, Jean de
Kervasdoué est professeur au Conservatoire national des arts et métiers.
LE FIGARO ÉCONOMIE. - Quelles sont les causes de la crise des hôpitaux ?
Jean de KERVASDOUÉ. - L'hôpital est une organisation "Canada Dry" : sous une
apparence normale (conseil d'administration, directeur, chefs de service...)
se cache une structure déterminée par des règles bureaucratiques plus que
par la recherche d'un objectif commun. Un patient hospitalisé relève de
spécialistes de différentes disciplines. La qualité des soins dépend donc de
leur capacité à bien se coordonner. Or les médecins, par idéologie, ont
réussi à faire perdurer un système où chacun prétend être indépendant. La
communication entre services, c'est "quand je veux, si je veux". Chaque chef
de service est d'ailleurs nommé par le ministre et non par le directeur de
l'hôpital, lui-même relevant du ministre et non pas du président du conseil
d'administration. L'organisation de l'hôpital est dessinée à Paris sur un
modèle unique.
L'autre explication est la folie réglementaire, un véritable système
soviétique. Depuis l'affaire du sang contaminé en particulier, du ministère
aux agences régionales d'hospitalisation, chacun se protège en créant des
règlements que l'échelon inférieur est censé appliquer. Tout est défini,
pratiquement jusqu'à la marque de "déca" de la pause-café du matin, mais
rien n'est contrôlé. Il existe plus de 42 familles de règlements -
systématiquement inapplicables - sur la sécurité à l'hôpital ! Mais, en
matière de qualité, il n'y a aucun indicateur en dehors de celui des
infections nosocomiales. On est loin de la clinique Mayo, aux Etats-Unis, où
chaque patient peut consulter sur Internet le résultat des 100 dernières
opérations identiques à celles qu'il va subir.
Comment remédier à ces absurdités ?
Laissons le président du conseil d'administration nommer le directeur et le
médecin-chef, puis chaque hôpital s'organiser lui-même ! Et contrôlons les
établissements sur l'essentiel : la qualité des soins et les prix.
Mais ces raisons structurelles n'expliquent pas à elles seules la
dégradation récente des finances des hôpitaux...
L'hôpital a fait l'objet, ces dernières années, d'une accumulation de
mesures de "générosité" non financées : plan cancer, plan urgences, plan
psychiatrie... Lors du passage aux 35 heures, Elisabeth Guigou a accordé 45
000 postes supplémentaires. Le revenu des médecins hospitaliers a été
revalorisé par Martine Aubry, puis Elisabeth Guigou, puis Jean-François
Mattei, puis Philippe Douste-Blazy : à 7 000 euros par mois vers 50 ans, un
praticien gagne 30% de plus qu'un ambassadeur de France. Il en est également
ainsi des infirmières, les "bac + 3" les mieux rémunérés de France, tout au
moins en début de carrière. Enfin, l'application de la tarification à
l'activité a compliqué un peu plus les choses.
Le personnel est, de loin, le premier poste de dépenses de l'hôpital.
Comment gagner en souplesse, compte tenu du statut de la fonction publique
dont la révision serait délicate politiquement ?
Pourquoi ne pas imiter ce qui s'est fait dans les filiales du CEA ou chez
France Télécom ? Faire cohabiter des fonctionnaires et des contractuels, en
étant un peu plus généreux avec ces derniers. De nombreux fonctionnaires
choisiront sans doute de changer de statut.
La rationalisation des achats est un sujet "à la mode" à l'hôpital, mais
permettra-t-elle des économies substantielles ?
Ce n'est pas parce que les sommes à gagner sont moins considérables que sur
le personnel qu'il ne faut pas s'en préoccuper ! Les écarts de prix d'achat
d'un établissement à l'autre ne sont pas une légende. Mais les hôpitaux ne
sont pas seuls responsables. Le Code des marchés publics constitue un
carcan. Et les fournisseurs savent que l'hôpital finit toujours par payer,
mais tard : ils "anticipent" en majorant leurs prix. C'est comme ça que le
kilo de sucre est parfois acheté plus cher qu'à l'épicerie du coin...
Kervasdoué : "Un système soviétique"
Directeur des hôpitaux au ministère de la Santé de 1981 à 1986, Jean de
Kervasdoué est professeur au Conservatoire national des arts et métiers.
LE FIGARO ÉCONOMIE. - Quelles sont les causes de la crise des hôpitaux ?
Jean de KERVASDOUÉ. - L'hôpital est une organisation "Canada Dry" : sous une
apparence normale (conseil d'administration, directeur, chefs de service...)
se cache une structure déterminée par des règles bureaucratiques plus que
par la recherche d'un objectif commun. Un patient hospitalisé relève de
spécialistes de différentes disciplines. La qualité des soins dépend donc de
leur capacité à bien se coordonner. Or les médecins, par idéologie, ont
réussi à faire perdurer un système où chacun prétend être indépendant. La
communication entre services, c'est "quand je veux, si je veux". Chaque chef
de service est d'ailleurs nommé par le ministre et non par le directeur de
l'hôpital, lui-même relevant du ministre et non pas du président du conseil
d'administration. L'organisation de l'hôpital est dessinée à Paris sur un
modèle unique.
L'autre explication est la folie réglementaire, un véritable système
soviétique. Depuis l'affaire du sang contaminé en particulier, du ministère
aux agences régionales d'hospitalisation, chacun se protège en créant des
règlements que l'échelon inférieur est censé appliquer. Tout est défini,
pratiquement jusqu'à la marque de "déca" de la pause-café du matin, mais
rien n'est contrôlé. Il existe plus de 42 familles de règlements -
systématiquement inapplicables - sur la sécurité à l'hôpital ! Mais, en
matière de qualité, il n'y a aucun indicateur en dehors de celui des
infections nosocomiales. On est loin de la clinique Mayo, aux Etats-Unis, où
chaque patient peut consulter sur Internet le résultat des 100 dernières
opérations identiques à celles qu'il va subir.
Comment remédier à ces absurdités ?
Laissons le président du conseil d'administration nommer le directeur et le
médecin-chef, puis chaque hôpital s'organiser lui-même ! Et contrôlons les
établissements sur l'essentiel : la qualité des soins et les prix.
Mais ces raisons structurelles n'expliquent pas à elles seules la
dégradation récente des finances des hôpitaux...
L'hôpital a fait l'objet, ces dernières années, d'une accumulation de
mesures de "générosité" non financées : plan cancer, plan urgences, plan
psychiatrie... Lors du passage aux 35 heures, Elisabeth Guigou a accordé 45
000 postes supplémentaires. Le revenu des médecins hospitaliers a été
revalorisé par Martine Aubry, puis Elisabeth Guigou, puis Jean-François
Mattei, puis Philippe Douste-Blazy : à 7 000 euros par mois vers 50 ans, un
praticien gagne 30% de plus qu'un ambassadeur de France. Il en est également
ainsi des infirmières, les "bac + 3" les mieux rémunérés de France, tout au
moins en début de carrière. Enfin, l'application de la tarification à
l'activité a compliqué un peu plus les choses.
Le personnel est, de loin, le premier poste de dépenses de l'hôpital.
Comment gagner en souplesse, compte tenu du statut de la fonction publique
dont la révision serait délicate politiquement ?
Pourquoi ne pas imiter ce qui s'est fait dans les filiales du CEA ou chez
France Télécom ? Faire cohabiter des fonctionnaires et des contractuels, en
étant un peu plus généreux avec ces derniers. De nombreux fonctionnaires
choisiront sans doute de changer de statut.
La rationalisation des achats est un sujet "à la mode" à l'hôpital, mais
permettra-t-elle des économies substantielles ?
Ce n'est pas parce que les sommes à gagner sont moins considérables que sur
le personnel qu'il ne faut pas s'en préoccuper ! Les écarts de prix d'achat
d'un établissement à l'autre ne sont pas une légende. Mais les hôpitaux ne
sont pas seuls responsables. Le Code des marchés publics constitue un
carcan. Et les fournisseurs savent que l'hôpital finit toujours par payer,
mais tard : ils "anticipent" en majorant leurs prix. C'est comme ça que le
kilo de sucre est parfois acheté plus cher qu'à l'épicerie du coin...